25 Nov 2020 : Est-il venu le temps du monde fini ?
En 1991 le biologiste et généticien Albert Jacquard publiait cet ouvrage : Voici le temps du monde fini.
Il insistait alors sur le fait que l’explosion démographique devait être jugulée de façon urgente avant la fin du XXe siècle sous peine d’assister à un suicide collectif en raison de l’épuisement des ressources naturelles. Scientifiques et écologistes occidentaux commençaient à multiplier les messages alarmistes pour inciter à la prise de conscience collective de « la finitude spatio-temporelle de la biosphère »
L’idée que le monde court à sa perte n’est pas nouvelle: en témoignent les différents exemples de littérature apocalyptique qu’ils soient antiques, perses, juifs ou chrétiens.
Tous ces récits fantasmagoriques contiennent des prophéties de fin des temps, qui identifient les forces du mal et encouragent ceux qui souffrent à prendre leur mal en patience.
L’épidémie d’infection par le VIH, au vu de son acuité, a contribué à des interprétations sociales incluant ce thème de l’apocalypse.
Elle a été révélée en 1981 avec les premiers cas de Sida apparus à Los Angeles dans une communauté de jeunes homosexuels au départ puis chez des héroïnomanes et des transfusés.
Si les modes de transmission du VIH ont été assez rapidement identifiés (sexuelle, sanguine et materno-foetale), il a fallu mener de nombreuses investigations pour dater l’origine du passage de ce virus chez l’homme et comprendre pourquoi elle s’était développée sur un mode pandémique.
Des études menées grâce à des outils d’épidémiologie moléculaire ont permis de démontrer qu’il résultait de l’adaptation humaine de virus infectant les chimpanzés et que le franchissement de la barrière d’espèces avait eu lieu au Gabon, au Cameroun et en Guinée équatoriale vraisemblablement autour des années 1935/40.
A l’origine, la transmission a probablement eu lieu à l’occasion d’activités de chasse, suite à des contacts sanglants entre le singe et l’homme. Des facteurs humains ont pris le relais et amplifié l’épidémie (urbanisation massive en Afrique Subsaharienne, libération sexuelle dans les pays de Nord, tourisme sexuel, développement du transport aérien.. )
On peut donc dire qu’originellement, l’infection par le VIH résulte de l’adaptation d’un micro-organisme d’origine animale et les scientifiques avaient souligné que ce n’était pas la première fois…et que ce ne serait assurément pas la dernière.
Jusqu’en 1987, découverte de l’AZT, il n’y a pas de médicament contre le VIH lui-même mais la médecine soigne de mieux en mieux les infections opportunistes et la mortalité diminue.
On découvrira aussi que la longue période asymptomatique correspond à une charge virale intense : grâce aux tests de dépistage précoce de la séroposivité on s’attache alors à traiter les patients « tôt et fort » afin d’éviter une multiplication virale qui épuise le système immunitaire.
Dans les années 2000 on abordera le temps de l’espoir de guérison et de solidarité mondiale : il y a alors l’espoir d’un vaccin, les recherches se poursuivent mais le caractère mutant du virus les rend infructueuses à ce jour.
De maladie mortelle inconnue en 1981 le Sida est devenu une infection virale stabilisée sous traitement.
Le Sida a aussi réformé le système hospitalier : dés 1988, en France notamment, ont été mises en place des unités hospitalières spécialisées regroupant au niveau régional les pôles de compétences médicales en matière de traitement, prévention, recherche et information.
La stigmatisation des malades et l’ignorance de départ ont fait place à la tolérance, et l’évolution des comportements.
Mais toutes ces avancées ont été opérées essentiellement dans les pays développés. Résoudre un problème de cette ampleur mondiale ne peut passer que par l’expression et la mise en pratique d’une vraie solidarité internationale.
Et aujourd’hui, alors qu’une nouvelle pandémie fragilise le monde, a-t-on su tirer les leçons de ce passé pas si lointain ?
Les deux maladies – Sida et Covid19 – ne sont pas comparables mais à y regarder de près, il y a dans la crise actuelle quelques échos similaires de la pandémie Sida : impréparation initiale des services de santé, perte de temps pour tout un chacun à comprendre et réaliser que tout le monde peut être touché, refus d’admettre que nous avons tout simplement perdu la maîtrise.
Il y aura bien sûr un bilan politique à dresser reprenant point par point tout ce qui s’est passé. Mais un bilan personnel s’imposera aussi à chacun d’entre nous : que dire des débats inaudibles et fielleux qui se sont déchainés sur les réseaux sociaux alimentant les délires complotistes et autres accusations de conflits d’intérêts qui n’ont servi qu’à alimenter l’angoisse et la peur, voire la défiance vis à vis des soignants ?
L’année 2020 se terminera dans quelques semaines.
Mais le chapitre de l’actuelle pandémie ne sera vraisemblablement pas clos.
Jusqu’à présent je trouvais pertinents les propos de Louis Philippe de Ségur* : il faut tirer des leçons du passé, vivre sans retenue le présent et anticiper l’avenir modérément.
Je pense toutefois que si l’on en juge par la crise actuelle, ils mériteraient d’être revisités : la modération n’est plus de mise dans l’anticipation de l’avenir et le moins que l’on puisse dire est que le présent qu’il nous est donné à tous de vivre nous contraint à une « retenue » indispensable et vitale.
Ainsi en 2021 serons-nous capables de trouver les mots justes pour appréhender empiriquement le présent et le futur à la lumière des leçons tirées de ce passé récent ?
*Poète français 1753 -1830