« La création comme la vie est par définition un processus hors équilibre qui nécessite un certain degré de confinement »

Le biologiste Pierre Joliot – petit fils de Pierre et Marie Curie – résume avec une terminologie d’actualité ce que création veut dire et je serais tenté d’ajouter que « le degré de confinement » étant en passe d’être atteint, le meilleur est sans doute à venir …

Qui n’a pas rêvé de faire de la création une ambition ?

La notion de créativité induit une capacité à imaginer, à construire, à élaborer un concept neuf ou à découvrir une solution originale pour régler un problème.

La situation pandémique actuelle semble être un terreau fertile : plus que jamais nous avons tous besoin d’idées créatives pour surmonter les obstacles, assurer les services essentiels, tuer l’ennui, endiguer l’épidémie et plus généralement poser les bases d’une société « ré-inventée » de l’après-crise.

Il serait réducteur de penser que la créativité est l’apanage de certains esprits : elle est au départ, intrinsèque à chaque être humain.

Il n’y a qu’à observer les enfants dans les premiers mois de leur vie et étudier leurs comportements d’explorateurs infatigables. Tout est curiosité, tout leur semble possible.

Par la suite, l’éducation, les échecs, les interdits brideront le potentiel créatif : un enfant bien élevé a appris à remanier ce qu’il a reçu. Il deviendra éventuellement innovateur mais aura perdu sa « confiance créative » et hésitera à prendre des chemins de traverse pour répondre à l’exceptionnel

Il y a dans la créativité une grande part d’émotion souvent stimulée par des circonstances hors zone, une transformation de ressources connues en idées nouvelles

Henri Poincarré, le mathématicien, a identifié un cheminement de l’origine à la réalisation en quatre étapes : préparation, incubation, illumination et vérification.

Identifier le bon problème est la base de toute solution créative.

Il faut ensuite « sortir des cadres de pensée classiques », se départir des fonctions initialement assignées aux choses pour trouver des idées originales, construire de nouveaux assemblages par des jeux de comparaison, abstraction, négation.

Et bien souvent une idée issue d’un seul cerveau a peu de chance d’aboutir ou d’être exploitée. Montaigne l’avait exprimé dans ses essais à propos des voyages pour vanter la nécessité de « frotter et limer sa cervelle contre celle d’aultruy »

Le brainstorming a fait ses preuves en la matière et montré l’efficacité d’un travail collectif à la condition que le groupe obéisse à des consignes claires d’écoute et d’animation.

On pourrait, à ce niveau, apporter un certain crédit aux réseaux sociaux en ce que chacun peut collecter facilement des connaissances et idées variées pour pouvoir prétendre en concevoir des plus originales.

Les nouvelles connexions entre les idées et les connaissances se complètent de celles entre les hommes et les femmes pour engendrer des idées abouties.

Plusieurs exemples illustrent cela sur fond de crise sanitaire : on a vu dans les grandes villes via Facebook des collectifs de parents échanger des idées pour créer des contenus propres à occuper les enfants confinés par exemple.

En 2020 on a assisté à l’émergence d’un certain nombre de start-up toutes vecteurs de solutions innovantes qui donne à penser que la crise pandémique est aussi destructrice de commerce qu’elle peut se révéler créatrice de solutions résilientes.

Les neurosciences se sont attachées à démontrer que la créativité dépend de l’intensité des connexions qui s’effectuent inconsciemment dans notre cerveau et sont prises en charge par un réseau de contrôle qui rendra évidentes les idées en correspondance avec les préoccupations identifiées du moment.

D’un point de vue plus « psychanalytique » pour Boris Cyrulnik c’est de l’ombre que naît la lumière et il sait sans doute mieux que quiconque de quoi il parle quand il dit que « le manque invite à la créativité, la perte invite à l’art.. ». Pour résumer, et c’est le titre de son livre : « c’est la nuit que l’on écrit des soleils ».

Passion et créativité peuvent aller de pair, à condition que le talent fasse partie de l’équation. Que pourrait-il advenir d’une passion contrariée par la non reconnaissance du talent pressenti ? C’est ce sur quoi l’écrivain Eric-Emmanuel Schmitt a planché en imaginant une biographie romancée d’Adolf Hitler rédigée en parallèle à une alternative inventée depuis le 8 octobre 1908, date à laquelle il est recalé à l’entrée de l’Académie des Beaux-Arts de Vienne*. Que serait-il arrivé si flatté et consacré dans ses ambitions créatives d’artiste, il avait été reçu ?

Pour le coup, c’est le talent créatif du romancier qui nous laisse ici … rêveurs !!

*La part de l’autre – roman d’EE Schmitt paru en 2001