L’homme est un animal sociable qui ne peut vivre et s’épanouir qu’au milieu de ses semblables

« L’homme est un animal sociable qui ne peut vivre et s’épanouir qu’au milieu de ses semblables »

C’est la définition qu’en donne le philosophe André Comte-Sponville*

Sociable … peut-être mais il est aussi égoïste. En fait, il semble ne pas pouvoir se passer des autres mais il n’est pas non plus naturellement enclin à renoncer, pour eux, à satisfaire ses propres désirs.

De cette contradiction « constitutionnelle », naissent forcément des conflits d’intérêts et pour qu’ils se règlent autrement que par une violence primaire et incontrôlable il faut un État.

La politique intervient ici en ce qu’elle est « la gestion non guerrière des conflits, des alliances et des rapports de force … à l’échelle de toute une société »

Elle commence là où la guerre s’arrête. Il s’agit de déterminer comme un préalable obligatoire, qui commande et qui obéit. Il faut un pouvoir qui puisse être garant de tous les autres.

Cela suppose un gouvernement et des changements de gouvernements, un accord sur la façon de régler des désaccords.

La politique rassemble tout en opposant. Le propre de l’Homme est de vouloir obéir librement, se soumettre au pouvoir pour renforcer le sien et c’est là tout le paradoxe et la difficulté de l’exercice.

Que dire de l’institution dans l’actuel paysage sur fond de pandémie mondiale ?

Le Président français Emmanuel Macron qui disait vouloir « rester Maître des horloges » doit revoir son logiciel car il semble ne plus maitriser le tempo.

Et pourtant l’expression initiale était bien choisie puisant sa légitimité dans l’Histoire politique où les horloges ont toujours été des symboles forts et omni présents : au IVe siècle avant JC, les clepsydres égyptiennes introduites en Grèce visaient à mesurer la longueur des discours politiques. A Versailles, dans la Cour de marbre, l’Horloge à une seule aiguille avait pour fonction unique d’indiquer l’heure de la mort du roi. Lord Byron, poète du XIXe siècle avait même été jusqu’à déclarer sans ambages – et non sans un brin d’ironie – que les lois et institutions à l’instar des horloges, devraient être régulièrement démontées, huilées et remises à l’heure juste.

Oui mais aujourd’hui, c’est un virus qui est devenu le Maître du temps.

Que peuvent y faire les lois et institutions ?

Mesures et restrictions s’enchaînent mais ne suffisent plus à gouverner l’imprévisible.

Ce mois de mars marque la date anniversaire du début de cette crise sanitaire mondiale et un an plus tard règne toujours l’incertitude rendant les décisions politiques difficiles à prendre, mettant à mal le postulat selon lequel « gouverner c’est prévoir ».

Scientifiques et politiques planchent sur le sujet mais un jour perdu pour les premiers s’entend comme un jour gagné pour les seconds : Perdu en regard de la situation alarmante des services de réanimation, gagné pour l’économie et le moral des citoyens.

Pour les politiques, l’exercice est complexe en ce que leur incombe la tâche de trouver un point d’équilibre entre des données pas forcément compatibles relevant de domaines qui n’obéissent pas aux même règles de fonctionnement ( économie, santé, psychologie …)

On peut tous s’accorder à dire que la santé vaut mieux que la maladie et que le bonheur est préférable au malheur, mais quand tout le monde est d’accord ce n’est pas de la politique !

Aujourd’hui le mot d’ordre pour le gouvernement est « pragmatisme » tout en s’attachant à répondre à un enjeu immédiat d’adaptation à une situation évolutive.

La population tiendra les autorités pour responsables de son maintien en bonne santé.

Si elles réussissent elles bénéficieront d’un surcroit de légitimité, sinon ce sera assurément une forme de déstabilisation

Je ne pense pas qu’en France il y ait une quelconque idéologie derrière les décisions prises. Les hommes politiques avancent à tâtons dans ce que Clausewitz appelait le « brouillard de la guerre » pour qualifier alors le quotidien des chefs des armées. Or comme dit plus haut : la politique est une gestion non guerrière des conflits, et elle ne ressemble plus aujourd’hui à la définition d’Aristote qui la comparaît à l’art de commander des hommes libres. Notre liberté a été mise entre parenthèses et nous avons tous perdu ce que nous pensions être la maîtrise de nos horloges personnelles.

Le brouillard est celui de l’épidémie, et l’ennemi est impalpable et imprévisible.

Face à ces incertitudes chacun essaie de rationnaliser. Le monde est avide de lisibilité mais en l’espèce elle n’est pas acquise.

Le pouvoir est confronté à un arbitrage difficile autour de deux sujets : trouver un équilibre entre sécurité collective et libertés individuelles, et répondre à la question de savoir si l’on peut maintenir la vie économique et sociale sans que cela ne se révèle antagoniste d’un maintien de la santé globale.

Qui plus est, la politique peut échapper au gouvernement …

La soif d’informations du public est étanchée par différents canaux bien souvent invérifiables si l’on en croit le débordement de contenus des réseaux sociaux sur des sujets à connotation scientifique dont s’empare sans complexe le commun des mortels.

La pénurie d’informations documentées et légitimes suscite un réel mécontentement, et la rumeur, attisée par les medias, devient un terreau fertile pour que naisse la théorie du complot et les ravages qu’elle peut susciter.

Il existe en France un réel empirisme de la construction institutionnelle en matière d’organisation de la Santé Publique

On se souvient de la crise politico-sanitaire de la canicule de l’été 2003 qui avait mis en exergue trois crises majeures : une crise logistique illustrée par un engorgement dès le mois d’août des urgences, des lits et funérariums ; une mise en cause des services de l’état accusés d’avoir tardé à réagir ; une crise de l’analyse stratégique d’anticipation pointant du doigt l’absence de méthodologie en la matière.

La politisation de cette crise avait alors surpris : ce phénomène météorologique présentait tous les signes d’un scénario épidémique non maîtrisé et les lacunes du système de santé

mises à jour (« Réquisitoire contre le système sanitaire » titrait sans ménagement le journal le Monde en Une ) ont contribué à déclencher la réforme administrative de la santé publique (Loi du 9 août 2004).

Que se passera-t-il cette fois ci ?

Viendra l’heure des bilans post Covid où pourront être étudiées dans le détail les stratégies adoptées par chaque région du monde pour vaincre la pandémie.

En France la stratégie a été d’intensifier la recherche épidémiologique autour des premiers cas repérés, ce qui explique sans doute pourquoi le passage à la phase trois a été retardé.

On retiendra sans doute – comme par le passé – une corrélation entre les régimes autoritaires et le recours aux quarantaines, et autres cordons sanitaires… tandis que les régimes libéraux penchent pour des mesures moins coercitives en essayant de privilégier l’hygiène publique et l’assainissement urbain. L’avenir dira qui avait raison.

Pour l’heure, il nous faut humblement reconnaître une certaine sagesse à la littérature et aux mots de Jean d’Ormesson pour qui « gouverner c’est choisir entre deux inconvénients et vivre c’est d’abord essayer d’éviter le pire » –

*Présentation de la philosophie